Passé de 11,4 % à 13,5 %, dépassant les 17 % en milieu urbain, le taux de chômage atteint un niveau alarmant. Avec les centaines de milliers de nouveaux arrivants sur le marché, la situation risque de s'aggraver davantage. Que faut-il faire pour pallier ce déficit de l‘employabilité? La réduction du taux de chômage ne doit-elle pas passer finalement par la création des postes d'emploi hors croissance, et capitaliser sur l'informel qui pèse pourtant plus de 60% de l'emploi au Maroc ? Le Haut-Commissaire au Plan, dont l‘institution produit des chiffres sur l’économie du Royaume, pointe du doigt les vraies difficultés et esquisse quelques pistes de solution.
Question 1. Selon le dernier bulletin publié par le HCP sur le marché du travail au cours du 3ème trimestre 2023, le Maroc a perdu 297.000 emplois. En conséquence, le taux de chômage a augmenté de 11,4 % à 13,5 %, atteignant 17 % en milieu urbain. Le nombre de chômeurs a également augmenté, passant de 1,378 million à 1,625 million à fin septembre, soit une hausse de 18%. Ces statistiques doivent-elles susciter des inquiétudes ?
Un chômeur de plus est toujours un chômeur de trop, au point que la hausse du chômage est historiquement corrélée à la baisse de l'activité par le phénomène de découragement de la force de travail. La baisse du taux d'activité, de 53,1% en 2000 à 44,3% en 2022, représente une déperdition de main-d'œuvre et réduit la capacité à créer de la croissance et de la richesse pour un pays qui aspire à promouvoir un État social.
Question 2. La croissance prévue pour les deux prochaines années permettra-t-elle d’absorber ces pertes d’emplois sachant que des centaines de milliers de nouveaux arrivants sur le marché ?
Dans le contexte actuel, la croissance économique prévue au tour de 3% pour les prochaines années reste en deçà de celle nécessaire pour rattraper les pertes d’emploi subies depuis la crise de la Covid-19 et intégrer les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Historiquement, le contenu de la croissance en emploi est en baisse continue. Entre 2000 et 2010, chaque point de croissance créait environ 30000 emplois. Cette cadence a diminué entre 2010 et 2019 où chaque point de croissance ne créait que près de 15000 emplois. Avec cette tendance structurelle aggravée par la mauvaise conjoncture qu’a connue le Maroc entre 2020 et 2022 caractérisée par la perte de près de 226 000 emplois et l’arrivée annuelle de près de 375000 personnes en âge de travailler, la récupération des emplois perdus et la création de nouveaux postes restent un défi de taille.
Question 3. La plupart des économistes tirent à boulets rouges sur l’informel qui pèse pourtant plus de 60% de l'emploi au Maroc. Ne pensez-vous pas qu’on devrait plutôt capitaliser sur ce dynamisme pour résorber le chômage ?
Il est un fait que la sphère informelle, avec la qualité de ses emplois, les conditions de travail et la faible rémunération, ne fait que perpétuer la précarité qui prévaut en général dans le marché du travail et alimenter la vulnérabilité sociale. Celle-ci, comme vous le savez, sans la forte assistance de l’État au cours de la Covid-19, ça aurait été la catastrophe.
Il ne s’agit pas de capitaliser sur une prétendue dynamique de l’informel dans une lutte conséquente pour réduire le chômage, mais plutôt de mettre en place une politique d’investissement soutenue et bien orientée pour créer une dynamique génératrice d’emplois dans le secteur formel. Toutes nos études montrent que la récupération ne passe guère par les multiples incitations pour résorber les tensions, mais plutôt par un plus grand dynamisme de l’économie formelle.
Question 4. Les différents gouvernements qui se sont succédé ont tenté de faire basculer les opérateurs de l’informel vers le formel, cela sans résultat. Où réside la difficulté ?
Il faut tout d'abord reconnaître que, partout dans le monde, les politiques publiques ont été en général incapables de lutter contre l’informel et ont très souvent rencontré une rigidité à la baisse de ce phénomène. Chez nous, la prédominance de l'informel est symptomatique d'une économie qui peine à se transformer pour s'adapter aux nouvelles réalités et aux besoins d'une population en pleine croissance. Il représente une forme d'économie de subsistance en dehors du cadre réglementé et fiscalisé. Cette situation est exacerbée par plusieurs facteurs, tels que les barrières à l'entrée dans le formel, le coût perçu et la complexité associés à la formalisation, entre autres. Pour plusieurs opérateurs, l'informel offre une flexibilité que le secteur formel ne semble pas pouvoir garantir. De plus, les très petites et moyennes entreprises sont confrontées à une sorte de plafond de verre qui limite leur croissance et les oblige à se retirer du marché ou à s’informaliser.
Il n'en reste pas moins que dans notre pays, le secteur informel offre à la fois des opportunités économiques et des filets de sécurité sociale à une grande frange de la population. Ce n’est pas un mal, mais un symptôme. Et afin de réduire ses effets néfastes, il faut s’attaquer à ses causes racines. Deux angles d’attaque sont à considérer. À court terme, il faut orienter les investissements vers des secteurs intensifs en emploi afin d’absorber la population moins diplômée et limiter les emplois informels générés par la tertiarisation de l’économie. À moyen et long terme, et en complément des politiques incitatives, l'investissement dans l'industrie, et en particulier dans les technologies vertes, l'industrie pharmaceutique et les industries où nous avons des avantages comparatifs, peut non seulement générer des emplois durables et décents, mais aussi contribuer à la résilience de notre économie.
Question 5. Le gouvernement est en train de finaliser la stratégie nationale pour l'emploi basée sur une vision globale dont la principale composante est la gouvernance du marché du travail, en plus de la convergence des politiques publiques et des secteurs productifs d’une manière régulière. Est-ce suffisant ? À votre avis, que faut-il faire vraiment ?
J'ai toujours pensé, et souvent déclaré, que le traitement du chômage ne peut être social, mais qu'il est une gageure éminemment économique. Les politiques publiques qui ont historiquement privilégié le traitement social du chômage ont été couronnées par une augmentation du taux de ce phénomène. Ces politiques pourraient provisoirement apporter une assistance à une partie des demandeurs d’emploi, mais elles ne réduisent pas la demande correspondante, qui n'est pas satisfaite par la création d'emplois dans l'économie, et augmentent par conséquent le taux de chômage.
Lien : https://www.challenge.ma/challenge-n906-du-15-au-21-decembre-2023-273539/
PAR ADAMA SYLLA / "Challenge"
Question 1. Selon le dernier bulletin publié par le HCP sur le marché du travail au cours du 3ème trimestre 2023, le Maroc a perdu 297.000 emplois. En conséquence, le taux de chômage a augmenté de 11,4 % à 13,5 %, atteignant 17 % en milieu urbain. Le nombre de chômeurs a également augmenté, passant de 1,378 million à 1,625 million à fin septembre, soit une hausse de 18%. Ces statistiques doivent-elles susciter des inquiétudes ?
Un chômeur de plus est toujours un chômeur de trop, au point que la hausse du chômage est historiquement corrélée à la baisse de l'activité par le phénomène de découragement de la force de travail. La baisse du taux d'activité, de 53,1% en 2000 à 44,3% en 2022, représente une déperdition de main-d'œuvre et réduit la capacité à créer de la croissance et de la richesse pour un pays qui aspire à promouvoir un État social.
Question 2. La croissance prévue pour les deux prochaines années permettra-t-elle d’absorber ces pertes d’emplois sachant que des centaines de milliers de nouveaux arrivants sur le marché ?
Dans le contexte actuel, la croissance économique prévue au tour de 3% pour les prochaines années reste en deçà de celle nécessaire pour rattraper les pertes d’emploi subies depuis la crise de la Covid-19 et intégrer les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Historiquement, le contenu de la croissance en emploi est en baisse continue. Entre 2000 et 2010, chaque point de croissance créait environ 30000 emplois. Cette cadence a diminué entre 2010 et 2019 où chaque point de croissance ne créait que près de 15000 emplois. Avec cette tendance structurelle aggravée par la mauvaise conjoncture qu’a connue le Maroc entre 2020 et 2022 caractérisée par la perte de près de 226 000 emplois et l’arrivée annuelle de près de 375000 personnes en âge de travailler, la récupération des emplois perdus et la création de nouveaux postes restent un défi de taille.
Question 3. La plupart des économistes tirent à boulets rouges sur l’informel qui pèse pourtant plus de 60% de l'emploi au Maroc. Ne pensez-vous pas qu’on devrait plutôt capitaliser sur ce dynamisme pour résorber le chômage ?
Il est un fait que la sphère informelle, avec la qualité de ses emplois, les conditions de travail et la faible rémunération, ne fait que perpétuer la précarité qui prévaut en général dans le marché du travail et alimenter la vulnérabilité sociale. Celle-ci, comme vous le savez, sans la forte assistance de l’État au cours de la Covid-19, ça aurait été la catastrophe.
Il ne s’agit pas de capitaliser sur une prétendue dynamique de l’informel dans une lutte conséquente pour réduire le chômage, mais plutôt de mettre en place une politique d’investissement soutenue et bien orientée pour créer une dynamique génératrice d’emplois dans le secteur formel. Toutes nos études montrent que la récupération ne passe guère par les multiples incitations pour résorber les tensions, mais plutôt par un plus grand dynamisme de l’économie formelle.
Question 4. Les différents gouvernements qui se sont succédé ont tenté de faire basculer les opérateurs de l’informel vers le formel, cela sans résultat. Où réside la difficulté ?
Il faut tout d'abord reconnaître que, partout dans le monde, les politiques publiques ont été en général incapables de lutter contre l’informel et ont très souvent rencontré une rigidité à la baisse de ce phénomène. Chez nous, la prédominance de l'informel est symptomatique d'une économie qui peine à se transformer pour s'adapter aux nouvelles réalités et aux besoins d'une population en pleine croissance. Il représente une forme d'économie de subsistance en dehors du cadre réglementé et fiscalisé. Cette situation est exacerbée par plusieurs facteurs, tels que les barrières à l'entrée dans le formel, le coût perçu et la complexité associés à la formalisation, entre autres. Pour plusieurs opérateurs, l'informel offre une flexibilité que le secteur formel ne semble pas pouvoir garantir. De plus, les très petites et moyennes entreprises sont confrontées à une sorte de plafond de verre qui limite leur croissance et les oblige à se retirer du marché ou à s’informaliser.
Il n'en reste pas moins que dans notre pays, le secteur informel offre à la fois des opportunités économiques et des filets de sécurité sociale à une grande frange de la population. Ce n’est pas un mal, mais un symptôme. Et afin de réduire ses effets néfastes, il faut s’attaquer à ses causes racines. Deux angles d’attaque sont à considérer. À court terme, il faut orienter les investissements vers des secteurs intensifs en emploi afin d’absorber la population moins diplômée et limiter les emplois informels générés par la tertiarisation de l’économie. À moyen et long terme, et en complément des politiques incitatives, l'investissement dans l'industrie, et en particulier dans les technologies vertes, l'industrie pharmaceutique et les industries où nous avons des avantages comparatifs, peut non seulement générer des emplois durables et décents, mais aussi contribuer à la résilience de notre économie.
Question 5. Le gouvernement est en train de finaliser la stratégie nationale pour l'emploi basée sur une vision globale dont la principale composante est la gouvernance du marché du travail, en plus de la convergence des politiques publiques et des secteurs productifs d’une manière régulière. Est-ce suffisant ? À votre avis, que faut-il faire vraiment ?
J'ai toujours pensé, et souvent déclaré, que le traitement du chômage ne peut être social, mais qu'il est une gageure éminemment économique. Les politiques publiques qui ont historiquement privilégié le traitement social du chômage ont été couronnées par une augmentation du taux de ce phénomène. Ces politiques pourraient provisoirement apporter une assistance à une partie des demandeurs d’emploi, mais elles ne réduisent pas la demande correspondante, qui n'est pas satisfaite par la création d'emplois dans l'économie, et augmentent par conséquent le taux de chômage.
Lien : https://www.challenge.ma/challenge-n906-du-15-au-21-decembre-2023-273539/
PAR ADAMA SYLLA / "Challenge"