Avec l’Enquête Nationale Démographique 2009-2010, nous nous inscrivons dans notre politique de cerner, autant que possible, en les précisant et en les actualisant, les données démographiques et socio-économiques de la population marocaine. C’est la deuxième enquête de cette nature au Maroc depuis 1986, où elle portait, du reste, sur un échantillon de taille trop réduite pour mesurer la mortalité maternelle.
Une enquête à trois passages
L’enquête de 2010 a été réalisée auprès d’un échantillon de 105 mille ménages représentatifs de l'ensemble de la population marocaine, lesquels ont été interviewés au cours de trois passages d’enquêteurs, espacés de six mois entre mai 2009 et août 2010.
Le premier passage a servi à dresser l’état de la population, de ses caractéristiques démographiques et socio-économiques et de ses conditions d’habitat. Les deux autres passages ont permis d’enregistrer et de suivre les événements démographiques de ces ménages au cours de l’année d’observation en termes de nuptialité, de natalité, de mortalité, de grossesses et d'avortements ainsi que des mouvements migratoires à l’intérieur et hors du pays.
La disponibilité de ces indicateurs est fondamentale pour asseoir sur des bases solides toute planification qu'elle soit globale ou sectorielle aussi bien au niveau national et local qu'au niveau des entreprises et ménages. Ils offrent à chacun de ces niveaux des références pour évaluer ses performances et adapter ses comportements à la lumière des objectifs qu’il souhaite atteindre.
Ils constituent, dans une approche historique et prospective, des révélateurs significatifs de l'évolution des mentalités et des comportements de la population et fournissent un éclairage sur les tendances lourdes qui comptent parmi les facteurs déterminants des mutations futures de l'économie et de la société avec leurs implications sociétales et politiques.
A des fins plus immédiates, cette enquête fournit au Maroc, et pour la première fois depuis 1986, des tables de mortalité par sexe et milieu de résidence basées sur des données directement observées, particulièrement utiles aux compagnies d'assurance, aux caisses de retraite et d’une façon générale à tous les organismes de prévoyance sociale.
D’ores et déjà, nous utilisons ces tables dans un modèle calculable d'équilibre général à générations imbriquées dans le but d’évaluer l'impact du vieillissement de la population sur la soutenabilité des systèmes de retraite à long terme compte tenu de la dynamique du marché de travail.
Par ailleurs, sur la base d’un sous échantillon de 12500 ménages tirés de cette enquête, nous sommes engagés dans une opération de mesure des données anthropométriques de la population qui nous permettra de connaître d'une manière précise, l'état nutritionnel des enfants, des adolescents et des adultes, de dresser la première cartographie marocaine de la malnutrition et d'actualiser nos études sur la pauvreté multidimensionnelle.
Permettez-moi maintenant, mesdames et messieurs de vous livrer les principaux indicateurs extraits de cette enquête.
II. Principaux enseignements fournis par l’enquête démographique à passages répétés
1. Une espérance de vie en progression : un gain de 28 ans depuis les années 60
L’espérance de vie est parmi les indicateurs qui renseignent le plus sur la capacité d’une collectivité nationale à assurer à ses membres l'aptitude d'une vie aussi longue et saine. A sa naissance, le Marocain moyen espérait vivre 47 ans en 1962 (57 en milieu urbain et 43 en milieu rural). Aujourd'hui, un demi-siècle après, son espérance de vie est portée à 74,8 ans (77,3 en milieu urbain et 71,7 en milieu rural), le gain est ainsi de 28 ans, résultante de la baisse de la mortalité aux différents âges. Le rythme d’évolution de cette dernière, est comme on le sait, fortement corrélé au niveau d'amélioration des conditions sanitaires et du niveau de vie.
2. Aujourd’hui encore relativement élevée au Maroc, le niveau de la mortalité infantile et maternelle connaît, cependant, une forte tendance à la baisse.
Le taux de mortalité infantile est passé de 149 p.mille en 1962, à 75,7 p.mille en 1987 pour atteindre 30 p.mille en 2010.
Le taux de mortalité infanto-juvénile (0 à 5 ans) qui était de 213 p.mille en 1962 est passé à 104 p.mille en 1987 et à 36 p.mille en 2010.
C’est dire qu’au début des années 1960, près d’un enfant sur 7 mourait avant d’atteindre un an contre un sur 33 aujourd’hui ; et plus d’un enfant sur cinq mourrait avant l’âge de cinq ans contre un sur 28 aujourd’hui.
En milieu urbain le taux de mortalité infantile est passé de 100 p.mille en 1962 à 45,5 p.mille en 1987 et à 25,7 p.mille en 2010.
L’accélération de cette baisse a profité d’une façon plus forte à la population rurale dont le taux de mortalité est passé de 170 p.mille à 89,7 p.mille et à 35,3 p.mille enregistrant ainsi des baisses annuelles de 1,9% entre 1962 et 1987 et de 2,6% entre 1987 et 2010.
S'il est aussi avéré que la mortalité infanto-juvénile connait une baisse notable qui inscrit le Maroc dans la voie de réalisation des OMD dans ce domaine, elle devrait rester, cependant, une préoccupation majeure des politiques publiques, en particulier, dans les domaines de la santé et de l’amélioration des conditions de vie de la population d'autant plus que de ces politiques dépend également le niveau de mortalité maternelle.
En effet, à l’instar de la mortalité infantile, celle-ci connait également une baisse remarquable. Pour 100 000 naissances, les décès pour des raisons liées à la maternité sont passés de 227 décès (186 en milieu urbain et 267 en milieu rural) au cours de la période en 1994-2003 à 112 (73 et 148 respectivement) en 2010 selon l’enquête à passages répétés. Si notre estimation est aussi précise de ce paramètre, malgré la rareté du phénomène et la difficulté connue de sa mesure, elle le doit en fait autant à la dimension qu’à la rigueur du type d’enquête à passages répétés, elle permet en effet le suivi systématique des femmes enceintes au cours de la grossesse, de l’accouchement et jusqu’à la fin de la période postpartum.
Il faut noter que la baisse de la mortalité maternelle est imputable en partie à la baisse de la fécondité. Quand la fécondité diminue, il y a moins de grossesses et de naissances, et donc une diminution de l’exposition au risque de mortalité maternelle.
Outre ce facteur, cette baisse s'explique également par la progression de la couverture des consultations prénatales et de l’assistance à l’accouchement par un personnel qualifié. C'est ainsi qu'en 2010, 80% des femmes ont reçu au moins une consultation prénatale (contre 68% au cours de la période 1999-2003) et 74% ont été assistées par un personnel qualifié de la santé lors de l’accouchement (contre 63% en 1999-2003).
3. La diminution de la mortalité infanto-juvénile facteur de forte baisse de la fécondité
Sans doute, les phénomènes de reproduction, de fécondité obéissent à une multitude de facteurs, socio-économiques, culturels, religieux, etc. Mais au départ, pour que l’on accepte de mettre moins d’enfants au monde, il faut avoir l’assurance que ses enfants nous survivront et survivront jusqu’à un âge avancé. En effet, beaucoup de Marocains, les ruraux surtout, comptent dans leurs vieux jours sur leur progéniture, le plus souvent masculine.
C’est dire que ce qui a permis, ou facilité, la forte baisse de la fécondité est en arrière-plan la forte diminution de la mortalité.
Les résultats de l'enquête montrent qu'au début des années 1960, une Marocaine mettait au monde durant sa vie de procréation 7,2 enfants, aujourd’hui, elle n’enfante plus que 2,19 naissances vivantes, soit 5 enfants de moins qu’il y a cinquante ans (ou -70%).
La fécondité urbaine affiche un tournant sans précédent en se maintenant au dessous du seuil de remplacement des générations, 1,84 enfant par femme. Si cette baisse se révèle permanente, on risque d’assister dans les années à venir à un ralentissement accentué de l’accroissement démographique de la population citadine, qui ne sera plus nourrie que de l’apport des immigrants ruraux.
En revanche, bien que la fécondité rurale (2,70) n’ait pas encore atteint le seuil de remplacement, le rythme de sa baisse au fil des années, laisse entrevoir une tendance similaire à celle des villes. En effet, l’écart de fécondité entre le rural et l’urbain est passé de 3,2 enfants en 1986 à 0,9 enfant en 2009. Cette convergence, porte à croire qu’à l’instar du milieu urbain, la fécondité rurale tombera probablement en dessous du seuil de remplacement des générations.
La fécondité contrôlée est volontariste et suppose des choix individuels ou de couple. En conséquence, la forte baisse de la fécondité traduit bien l’émergence de l’individu, même si c’est au détriment des valeurs sociétales traditionnelles.
Le Maroc est désormais dans le peloton de tête des pays arabes (Tunisie : 2 ,05, Liban : 1,69) pour la transition de sa fécondité. Par rapport à l’Europe, il n’est plus qu’à quelques décimales de la France: 2,02.
Certes le Maroc est rentré plus tard dans la transition démographique, mais il connaît une accélération de cette transition qui lui permet de rattraper les pays qui l’ont devancé comme la Tunisie.
Signalons, là aussi, que les dernières années furent décisives dans la forte diminution de la fécondité vers le seuil de renouvellement des générations (2,1 enfants par femme). En 2004, l’indice de fécondité, était à 2,46 enfants. Mais en 6 ans, il a quand même diminué à un rythme soutenu de presque -2% par an, phénomène assez remarquable quand la fécondité est déjà basse.
Cette évolution obéit en dernier ressort à des changements de l'environnement socioéconomiques et aux mutations qui s'opèrent dans les systèmes de valeur et de comportements sociaux.
Dans l'espace régional, la fécondité est peu hétérogène, le différentiel de fécondité ne dépasse guère un enfant entre la région la plus féconde (Marrakech Tensift Al-Haouz) et celle la moins féconde (Oriental). Nonobstant ce fait, la transition entre 2004 et 2009 se poursuit à des rythmes différents d’un groupe de régions à l’autre.
Les régions les plus fécondes, affichant un niveau de fécondité supérieure à la moyenne nationale (2,2 enfants par femme) sont Marrakech-Tensift-Al-Haouz (2,6), Chaouia-Ouardigha (2,5), Souss-Massa-Draa (2,4), Gharb-Chrarda-Beni Hssen (2,4). Le deuxième groupe, se distinguant par un niveau de fécondité proche du seuil de renouvellement de la population (2,1 enfants par femme), inclut les Régions Sahariennes (2,0), Meknès Tafilalet (2,1), Fès Boulemane (2,1), Taza Al Hoceima Taounate (2,1) et Tanger Tétouan (2,3). Quant au dernier groupe, caractérisé par une fécondité en deçà du niveau de remplacement des générations, il est composé de l'Oriental (1,6 enfants par femme), Rabat Salé Zemmour Zaer (1,8) et le Grand Casablanca (1,9).
4. A l’amont de la vie reproductive, se situent les transformations de la nuptialité
Ces transformations de la vie reproductive présupposent en amont des transformations de la conjugalité. En 50 ans, l’âge au 1er mariage a énormément reculé. En 2010, les femmes se sont mariées en moyenne à 26,6 ans et les hommes à 31,4 ans, soit par rapport à 1960, respectivement 9,3 ans et 7,5 ans plus tard. L’écart d’âge au mariage entre les deux sexes s’est ainsi rétréci passant de 6,6 à 4,8 ans.
L’âge moyen au 1er mariage est plus élevé en milieu urbain qu'en milieu rural quel que soit le sexe. Les hommes ruraux se marient en moyenne 2,5 ans plus tôt que les citadins (respectivement 30 et 32,5 ans ) et les femmes rurales 1,8 ans plus tôt que les citadines (respectivement 25,6 et 27,4 ans).
Aujourd'hui, parmi les femmes de 15 à 19 ans, 9 sur 10 sont encore célibataires. Une seule est mariée dans cette tranche d'âge, c'est dire qu'en 2010, 150 mille femmes marocaines sont dans ce cas. Parmi celles-ci, 120 mille sont âgées entre 18 et 19 ans. Il n'en reste pas moins qu'au moins 30 mille femmes se sont mariées en deçà de l'âge légal.
Parmi les femmes âgées de 20 à 24 ans, 61,4% sont célibataires. C’est le cas également de 28,9% des femmes âgées de 30 à 34 ans. Ces proportions, encore plus élevées pour les hommes (99,6% parmi ceux âgés de 15 à 19 ans, 93,3% parmi les 20-24 ans et 42% parmi les 30-34 ans) accusent une hausse continue s’inscrivant dans la tendance observée depuis les années 60.
La prolongation du célibat concerne aussi bien les femmes que les hommes et le mariage devient de moins en moins universel, comme le montrent les proportions de célibataires à 50 ans, âge au-delà duquel, les personnes non mariées sont considérées comme devant finir leur vie en tant que célibataires. En 2010, le célibat à 50 ans atteint 5,8% parmi les hommes et 6,7% parmi les femmes, soit par rapport à 1994 une multiplication par 2 pour les hommes et par 7 pour les femmes. Autrement dit, pour les femmes aussi bien que pour les hommes, le mariage, par choix individuel ou pour des raisons économiques ou migratoires devient de moins en moins universel.
5. La transition démographique et la mobilité des populations contribuent aux transformations des comportements matrimoniaux
L'endogamie, valorisée dans le cadre des traditions patriarcales soucieuses de maintenir la cohésion familiale ou la sauvegarde du patrimoine, a enregistré une baisse de 33% en 1987 à 29,3% en 1995 pour atteindre 21% en 2010; exprimant, ainsi, une mutation des systèmes de valeurs et comportements sociaux.
Cette baisse de l'endogamie s'explique principalement par le recul des mariages avec des parents éloignés. En effet, le taux d'endogamie avec un cousin germain est resté quasiment stable entre 1995 et 2010 (16,3% et 15,5% respectivement) alors que celui avec un parent éloigné a connu une baisse sensible passant de 13% à 5,1% d'où la progression de la part des mariages avec un cousin germain de 56% en 1995 à 75% en 2010.
La baisse de l'endogamie a concerné aussi bien le milieu rural que le milieu urbain. Entre 1995 et 2010, elle est passée de 33,1% à 22,6% dans le premier et de 26% à 19% dans le deuxième.
6. La baisse de l'endogamie s'accompagne d'un recul du divorce
Si dans les années 60, le tiers des mariages (31%) se terminaient par un divorce, 15% en 1995, il n'est guère plus que de un sur dix maintenant (10,5%).
La proportion des femmes dont le 1er mariage a été rompu par divorce est quasiment identique en milieu rural (10,6%) qu’en milieu urbain (10,4%). Elle est la plus élevée pendant la période critique des cinq premières années de la vie conjugale (supérieure à 30%) et baisse progressivement avec la durée pour atteindre des niveaux inférieurs à 3% au delà de 20 ans de mariage.
7. Les phénomènes de la migration participent à brassage croissant des populations marocaines
Ces évolutions n'est surement pas étrangère à la mobilité géographique de la population marocaine qui a concerné 1,167 millions de personnes (dont 51% de femmes) et qui s'exprime, d'abord, par le phénomène de l'urbanisation dont le taux est passé de 29% en 1960 à 43% en 1982 pour s'établir à 57% en 2010.
L'analyse de ces mouvements montre également la prééminence de la migration inter-urbaine (584 mille) qui représente près de 55% du total de la population migrante et l'importance de l'exode rural qui a concerné 298 mille personnes. Tenant compte des 98 mille personnes qui ont fait le déplacement inverse, quittant le milieu urbain pour s'installer dans les campagnes, le solde migratoire est ainsi largement déficitaire pour le milieu rural qui a perdu au cours de l'année d'observation 200 mille personnes au profit des villes qui en ont gagné, compte tenu de la migration internationale, 127 mille.
Les sorties hors des limites territoriales nationales ont porté sur 106 mille personnes, tandis que les retours de migrants de l'étranger qui étaient peu significatifs par le passé sont désormais de l'ordre 20 mille, soit un solde migratoire déficitaire de 86 mille. Le milieu urbain fournit 85% des émigrants internationaux contre 15% pour le milieu rural et presque les mêmes proportions sont enregistrées parmi les immigrants internationaux (83% reviennent s’installer dans les villes marocaines et 17% dans les campagnes). Ainsi, en termes d’échanges annuels avec l’étranger, le déficit du milieu urbain serait de l’ordre de 73 mille personnes et celui du milieu rural, de l'ordre de 13 mille personnes.
Concernant la migration interrégionale, 401 mille personnes ont changé de région de résidence. Les régions les plus attractives sont le Grand Casablanca et le Souss Massa Draa et les plus répulsives, Marrakech-Tensift- Al Haouz et Taza- Al Hoceima-Taounate.
III. Une conclusion et quelques remarques
Je voudrais mesdames et messieurs, au terme de cette intervention, faire, si vous le permettez, une conclusion générale et trois remarques.
La conclusion porte sur la synthèse des différents indicateurs issus de cette enquête. Il en ressort que le Maroc, rentré certes relativement tard dans la transition démographique, connaît une accélération de cette transition et rattrape, dans ce domaine, les pays qui l’ont devancé dans cette voie. En conséquence, le taux d’accroissement naturel qui s’élevait à 2,7% dans les années 60 a fortement diminué pour n’atteindre que 1,32% en 2010 sous l’effet de la baisse de la natalité. Cependant, avec une migration internationale qui absorbe un flux net de 86 mille personnes, soit un taux de -2,7 p. mille, la population du Maroc ne s’est accrue, dans les faits, qu’au taux de 1,05%, au cours de l’année 2010 avec 1,91% dans les villes et -0,09% dans les campagnes.
1. La première remarque porte sur la quasi stagnation de la masse globale de la population rurale avec, cependant, un taux d’accroissement naturel élevé, malgré l’atténuation du différentiel de sa fécondité avec celle de la population urbaine et ce dans un contexte de fort exode rural. Cette quasi stagnation est source d’une perduration de la pression démographique sur le sol et l’eau laquelle constitue l’un des défis majeurs du programme « Maroc vert ». La réussite de ce dernier à faire baisser substantiellement cette pression est aussi importante pour la sécurité alimentaire que pour la sauvegarde du potentiel naturel et environnemental de développement futur de notre pays.
2. La deuxième remarque est de caractère plus général. La forte diminution de la mortalité, notamment infanto-juvénile et maternelle, accompagnée d’une forte baisse de la fécondité interagissent ensemble avec le recul de l’âge au mariage, aussi bien des hommes que des femmes, pour induire des réformes profondes dans les systèmes de valeurs et les comportements sociétaux, dans un contexte d’un fort brassage des populations marocaines sous l’effet de l’émigration. La fécondité de plus en plus contrôlée est, à cet égard, révélatrice de ces mutations. Elle suppose, en effet, des choix individuels ou des choix de couple, qui sont en rupture avec les valeurs d’une société traditionnelle. Pour celle-ci, souvent pro-nataliste, un nombre élevé d’enfants est, comme on le sait, source de sécurité même si, dans la réalité, il se fait au détriment du bien-être des parents et des enfants. Une forte baisse de la fécondité constitue à cet égard un indicateur de l'émergence de l'individualisme dans la société avec ses implications économiques sociétales, voire politiques. Avec l’éclatement des cadres de solidarité traditionnelle qui ont vocation à atténuer le coût de l'entrée des jeunes dans la vie active et à prendre en charge les personnes âgées, cette évolution a tendance à décaler une population à majorité jeune des systèmes et des élites traditionnels d’intermédiation sociale et politique. Dans un contexte d’ouverture sur de nouveaux modes de consommation, de valeurs et de comportements sociaux de plus en plus hégémoniques à l’échelle internationale, les besoins sociaux, les aspirations au bien-être et les normes culturelles d’une partie de cette population recherchent de nouveaux cadres d’expression qui peuvent revêtir, tout au moins pendant un certain temps, un caractère corporatiste ou informel.
Le vieillissement de la population de son côté, pesant d’ores et déjà, sur le système de la santé et les caisses de retraite et de prévoyance sociale, est de nature à rendre plus complexe la gestion de la problématique des personnes âgées dans un pays dont l’héritage historique leur voue en tant que tel et pour leur rôle dans la préservation de l’équilibre affectif de la famille et la pérennisation de ses valeurs fondamentales un respect particulièrement marqué.
La troisième remarque porte sur les fenêtres d’aubaines que la transition ouvre au pays, à côté des défis qu’elle lui pose. La baisse du taux d’accroissement démographique se traduit par une diminution du poids de la population âgée de moins de 15 ans et permet d’accroitre les efforts investis dans l’enseignement pour résorber les déficits qu'il a hérités du passé et améliorer la qualité et l’adéquation de ses produits au marché du travail. Si par ailleurs, une forte proportion de la population active, constituée de jeunes est un atout important, il n’en reste pas moins que c’est par l’investissement dans les secteurs à fort multiplicateur d’emplois et par l’adaptation du système d’enseignement et de formation que peut se réaliser la valorisation de cet atout. Il est un fait que le fort taux d’investissement réalisé par le pays pour résorber le déficit dans le domaine des infrastructures et du développement humain a été, à cet effet, un choix judicieux dans la mesure où il a vocation à s’ouvrir sur cette nécessaire valorisation. Celle-ci est d’autant plus impérative que les flux d’émigration internationale qui ont contribué, jusqu’à présent, à l’allègement de la pression sur le marché du travail, risquent de s’atténuer en raison de la situation économique et géopolitique internationale et de ses perspectives. La mobilisation du plus fort taux d’épargne pour l’investissement reste assurément la seule voie pour répondre aux défis actuels sans hypothéquer l’avenir. Aucun modèle économique, jusqu’à présent connu, n’a pu, dans un contexte d'ouverture sur le marché international, résoudre autrement que dans la durée, les deux exigences de l’emploi et de l’amélioration des revenus, en dehors de cette voie. Celle-ci n’exclut, bien entendu, ni l’impératif de l’équité sociale ni celui de la participation démocratique dans la cadre d’une citoyenneté assumée. Au contraire, l’un et l’autre de ces impératifs constituent les préalables pour lui assurer la meilleure issue.