Monté à 12,9% à fin mars 2023, le taux de chômage atteint un niveau inquiétant, jamais vu depuis au moins deux décennies. Comment s’explique ce phénomène ? Le Haut-commissaire au Plan, dont l’institution a produit ce chiffre, nous explique les dynamiques qui ont joué dans cette montée spectaculaire du chômage.
Les chiffres produits par le HCP sur le chômage à fin mars 2023 sont à la fois alarmants et surprenants.
Alarmants, car avec un taux de chômage de 12,9%, le Maroc signe un record qu’il n’a pas été enregistré depuis le début des années 2000, sous le gouvernement El Youssoufi, où ce taux était monté à 13%. Et surprenant car il intervient à un moment où le gouvernement Akhannouch fait de l'emploi, depuis son investiture, une de ses priorités, augmentant de manière importante le budget de l’investissement public, tout en lançant des programmes comme Awrach ou Forsa qui étaient censés recréer une nouvelle dynamique dans le marché du travail après la crise du Covid-19.
Comment en est-on arrivés là ? Pour comprendre les dynamiques qui ont joué en cette année (entre fin mars 2022 et fin mars 2023), nous avons sollicité le Haut-commissaire au Plan, producteur de ce chiffre et qui dispose d’un back ground historique très riche sur les structures du marché de l’emploi au Maroc.
Pour lui, cette montée du taux de chômage à 12,9% était "attendue". Si ce chiffre a surpris plusieurs observateurs de l’économie nationale, Ahmed Lahlimi s’attendait bien à cette montée record du chômage. Et cela s’explique, selon lui, par quatre principales raisons:
- un facteur structurel de l’économie marocaine qui n’a pas changé depuis au moins 20 ans,
- exacerbé cette année par une conjoncture défavorable,
- ainsi que par l’effet boomerang sur le marché du travail des annonces gouvernementales sur la création d’emploi,
- et enfin par l’effet du ramadan qui a coïncidé cette année avec le mois de mars.
Pour comprendre ces deux concepts et leur effet sur la montée du chômage, le Haut-commissaire au Plan nous en fait d’abord la pédagogie.
Le taux d’activité représente, nous explique M. Lahlimi, le nombre de personnes actives sur la population en âge d’activité. Et cette population active est composée de deux catégories : la population qui a un travail, qui participe à la production et aux services. Et la population en chômage, mais qui cherche du travail. Ce taux, selon le Haut-commissaire au Plan, ne cesse de baisser depuis au moins deux décennies.
Et puis il y a le taux d’emploi. Pour comprendre ce concept, Ahmed Lahlimi part d’abord de la définition de la population inactive. Celle-ci est composée de tous ceux qui ne se portent pas sur le marché du travail, soit parce qu’ils sont des rentiers ou ont une occupation : des jeunes qui sont encore dans l’enseignement, des gens qui veulent rester à la maison, des personnes qui ne cherchent tout simplement pas de travail, ou des personnes qui ont essayé plusieurs fois de trouver un job et qui sont découragées, sortant par conséquence complètement du marché du travail. Le taux d'emploi mesure donc la part des personnes qui travaillent rapportée à l'ensemble de la population. Elle permet indirectement de mesurer la population inactive.
Cette population inactive produit deux dynamiques : "elle va être soit le réceptacle de tous ceux qui sont découragés par la recherche d’un travail, ou elle viendra alimenter la demande sur le marché du travail. Et si cette demande n’est pas satisfaite, elle va augmenter le taux de chômage", précise le Haut-commissaire au Plan.
Ce sont ces deux variables qui constituent les dynamiques structurelles de fonctionnement du marché du travail. Au Maroc, ces deux taux connaissent, nous dit M. Lahlimi, une baisse continue depuis au moins deux décennies, avec en même temps une augmentation de la population en situation d’inactivité.
"Pour illustrer ce phénomène structurel, il faut savoir qu’entre 2000 et 2019, l’économie nationale a créé en moyenne annuelle 110.000 postes d’emplois au moment où la population en âge de travailler augmente chaque année en moyenne de 375.000 personnes, soit un déficit moyen de 265.000 postes d’emploi par an", précise M. Lahlimi.
"Ce qui s’est passé cette année, c’est que cette situation structurelle a été amplifiée par la conjoncture et l’héritage de la crise du Covid-19. A cause de la pandémie, nous avons perdu plus de 430.000 postes d’emploi en 2020, qui n’ont pas été complètement récupérés, malgré la création de 230.000 emplois en 2021 avec le rebond de l’économie. Un rebond qui a été suivi en 2022 par de nouvelles pertes d’emplois. Nous nous retrouvons donc dans une situation avec un phénomène structurel du chômage qui continue de persister, amplifiée par cette période du Covid et ses séquelles".
"Entre les deux premiers trimestres de 2022 et 2023, la population active occupée (celle qui travaille) est passée de 10.697.000 à 10.418.000 personnes, soit une perte nette 280.000 postes d’emplois sur une année. Près de 90% de cette perte sont des emplois non rémunérés. Il n’y a que 13.000 postes rémunérés qui ont été perdus".
"Ces emplois non rémunérés se trouvent dans l’agriculture, et sont en grande majorité occupés par des femmes (97%). Les services aussi ont connu une perte importante en raison de la baisse d’activité du commerce, du transport, de la restauration, ce qui est paradoxal puisque que dans l’hébergement, il y a eu des créations de postes. Pour compenser ces baisses, il y a eu des créations de postes dans les activités financières, les assurances, les services administratifs, la santé, l’enseignement, l’action sociale, l’activité des associations… Tous ces secteurs ont créé de l’emploi, avec le BTP et l’industrie qui ont créé à peu près 36.000 postes", détaille M. Lahlimi..
Résultat: le nombre de personnes au chômage a augmenté en une année de 83.000 individus pour atteindre plus de 1,5 million de chômeurs. Un chômage qui touche en grande partie les femmes, précise M. Lahlimi.
"Cette baisse de l’activité a touché principalement les femmes et les emplois non rémunérés. Il se trouve qu’une partie d’entre elles est sortie complètement du marché du travail, avec une sécheresse de deux années successives, sans compter l’effet structurel de la non absorption par le marché de la population qui arrive chaque année en âge de travail. Donc le taux d’activité a baissé, puisque nous n’avons pas créé un changement fondamental dans notre économie, pour avoir des activités qui créent des emplois décents et stables comme dans l’industrie, qui commence certes à créer des emplois mais à un niveau qui demeure faible", explique le Haut-commissaire au Plan.
Jusque-là donc, on comprend que la hausse du taux de chômage entre mars 2022 et mars 2023 est due à des données structurelles, exacerbées par le passif de la pandémie du Covid et les deux années de sécheresse. Mais il n’y pas que cela, selon Ahmed Lahlimi, qui évoque un autre effet, cette fois politique : celui de l’appel d’air créé par les annonces et les promesses gouvernementales concernant l’emploi.
"A chaque fois qu’on essaie de traiter le problème social par des annonces relatives à des perspectives d’emplois, plus au moins aidés, soutenus ou subventionnés, sans base productive, il y a un appel d’air qui se fait. Et tous ceux, qui d’ordinaire ne se portent pas sur le marché du travail, vont se mettre sur le marché, parce qu’ils sont attirés par ces annonces qui leur donnent de l’espoir de pouvoir bénéficier d’un emploi. Les personnes qui étaient découragées de l’emploi reviennent sur le marché, les personnes qui sont encore dans l’enseignement (lycée ou université) se mettent aussi sur le marché sans attendre de finir leur scolarité ou leurs études, surtout quand ils constatent que les jeunes diplômés sont encore au chômage. Ce qui vient augmenter le nombre de chômeurs faute d’une offre structurelle solide qui puisse absorber cette nouvelle masse de demandeurs d’emplois. J’ai n'ai d’ailleurs pas été étonné de constater qu’au même moment où je vous parle, on parle d’une très forte déperdition dans l’enseignement…", explique M. Lahlimi.
C’est pour cela, nous dit-il, qu’il s’attendait à une hausse du chômage en cette période.
"Je disais à mes collaborateurs bien avant 2022 que le chômage allait augmenter. Je me base sur cette analyse mais aussi sur l’histoire. A la fin des années 1990 et au début des années 2000, on a connu le même phénomène, avec un chômage qui est monté à 13%, produisant une salve de critiques et de doutes sur les politiques du gouvernement El Youssoufi", nous raconte le Haut-commissaire au Plan.
"Le nombre de chômeurs a augmenté de 83.000 personnes, mais il faut se rendre compte qu’il aurait pu être plus fort encore si les personnes qui sont passées de l’activité à l’inactivité étaient restées demandeuses d’emploi. Ces personnes représentent 197.000 personnes. Si ces personnes s’étaient portées sur le marché du travail, nous aurions eu une augmentation du taux de chômage à 15% au lieu de 12,9%", souligne M. Lahlimi.
Autre effet qui a joué, selon lui, le ramadan, mois qui a coïncidé cette année avec le mois de mars et est donc inclus dans les statistiques du premier trimestre 2023.
"L’effet ramadan a apporté sa contribution à la montée du taux de chômage à fin mars. Car une partie des artisans n’ont pas travaillé durant ce mois. Les pertes d’emploi dans un secteur comme la restauration sont aussi caractéristiques de cette période du ramadan. Ces effets vont probablement disparaître en partie le trimestre prochain, mais le chômage restera élevé tant que les facteurs structurels qui le soutiennent restent là".
Et l’inflation dans tout cela ? Pour le haut-commissaire au Plan, celle-ci a dû jouer sur les emplois dans le commerce informel, notamment chez la population des petits commerçants qui face à la montée des prix, et faute d’un capital consistant, a dû abandonner son activité, car ne pouvant pas suivre le rythme.
Mais la chose particulière que le haut-commissaire au Plan note cette année et qui a fait que le chômage a bondi à ces niveaux-là, c’est la double crise qui frappe aussi bien l’agriculture que les secteurs du commerce et, dans des proportions moindres, le BTP.
"D’habitude, dans le cadre des structures du marché du travail, quand l’agriculture marche bien, vous avez une population active occupée qui s'accroît, dont une grande partie de femmes non rémunérées, avec une petite augmentation que nous avons constatée ces dernières années d’emplois rémunérés qui est probablement due à la modernisation d’une partie de l’agriculture. Quand l’économie produit aussi des postes dans le domaine du BTP et du commerce, vous avez à ce moment là une baisse du chômage. Parce que, aussi bien dans les villes que dans la campagne, le chômage baisse. Deuxième cas de figure : quand vous avez une crise dans l’agriculture et que le BTP marche, nous assistons à une arrivée de la main-d'œuvre rurale vers les villes. Cette population va aller vers le BTP, ou à défaut dans les petits métiers, ce qui accroît l’informel dans les villes et l’activité des petits commerces… Le problème aujourd’hui, c’est que les deux ne marchent pas. Ce qui fait que même les petits métiers, dans le BTP ou le commerce, sur lesquels se rabattaient les personnes ayant perdu leur emploi dans le rural ne produisent pas de l’emploi. Ce qui explique cette perte d’emploi dans le commerce ou l’artisanat que nous avons enregistrée cette année", détaille M. Lahlimi.
Voici donc l’analyse exhaustive du Haut-commissaire au Plan, qu’il résume en quelques mots par ces termes-là :
"Si on veut résumer, il y a d’abord la situation structurelle du marché de l’emploi, amplifiée par une conjoncture venant de la Covid, de plusieurs années successives de sécheresse et d’une politique de l’emploi qui a favorisé l’entrée sur le marché de personnes qui se sont mises en recherche d’emploi. Ce chômage a été freiné néanmoins, non pas par la création d’emploi, mais par le passage à l’inactivité d’une partie de la population qui était active, car elle est découragée, particulièrement chez les jeunes et dans le domaine des emplois non rémunérés en grande partie féminisée. C’est cela la situation actuelle du marché du travail", conclut Ahmed Lahlimi.
Lien : Chiffres record du chômage : Le décryptage d'Ahmed Lahlimi
PAR M.M.
Les chiffres produits par le HCP sur le chômage à fin mars 2023 sont à la fois alarmants et surprenants.
Alarmants, car avec un taux de chômage de 12,9%, le Maroc signe un record qu’il n’a pas été enregistré depuis le début des années 2000, sous le gouvernement El Youssoufi, où ce taux était monté à 13%. Et surprenant car il intervient à un moment où le gouvernement Akhannouch fait de l'emploi, depuis son investiture, une de ses priorités, augmentant de manière importante le budget de l’investissement public, tout en lançant des programmes comme Awrach ou Forsa qui étaient censés recréer une nouvelle dynamique dans le marché du travail après la crise du Covid-19.
Comment en est-on arrivés là ? Pour comprendre les dynamiques qui ont joué en cette année (entre fin mars 2022 et fin mars 2023), nous avons sollicité le Haut-commissaire au Plan, producteur de ce chiffre et qui dispose d’un back ground historique très riche sur les structures du marché de l’emploi au Maroc.
Pour lui, cette montée du taux de chômage à 12,9% était "attendue". Si ce chiffre a surpris plusieurs observateurs de l’économie nationale, Ahmed Lahlimi s’attendait bien à cette montée record du chômage. Et cela s’explique, selon lui, par quatre principales raisons:
- un facteur structurel de l’économie marocaine qui n’a pas changé depuis au moins 20 ans,
- exacerbé cette année par une conjoncture défavorable,
- ainsi que par l’effet boomerang sur le marché du travail des annonces gouvernementales sur la création d’emploi,
- et enfin par l’effet du ramadan qui a coïncidé cette année avec le mois de mars.
Persistance du déficit structurel entre l’offre et la demande d’emploi
Le premier phénomène qui joue est donc structurel, nous explique M. Lahlimi. Il consiste en la baisse continue, depuis plus de 20 ans, du taux d’activité et du taux d’emploi. Schématiquement, en valeur relative, de moins en moins de personnes cherchent du travail et de moins en moins en trouvent. Pour comprendre ces deux concepts et leur effet sur la montée du chômage, le Haut-commissaire au Plan nous en fait d’abord la pédagogie.
Le taux d’activité représente, nous explique M. Lahlimi, le nombre de personnes actives sur la population en âge d’activité. Et cette population active est composée de deux catégories : la population qui a un travail, qui participe à la production et aux services. Et la population en chômage, mais qui cherche du travail. Ce taux, selon le Haut-commissaire au Plan, ne cesse de baisser depuis au moins deux décennies.
Et puis il y a le taux d’emploi. Pour comprendre ce concept, Ahmed Lahlimi part d’abord de la définition de la population inactive. Celle-ci est composée de tous ceux qui ne se portent pas sur le marché du travail, soit parce qu’ils sont des rentiers ou ont une occupation : des jeunes qui sont encore dans l’enseignement, des gens qui veulent rester à la maison, des personnes qui ne cherchent tout simplement pas de travail, ou des personnes qui ont essayé plusieurs fois de trouver un job et qui sont découragées, sortant par conséquence complètement du marché du travail. Le taux d'emploi mesure donc la part des personnes qui travaillent rapportée à l'ensemble de la population. Elle permet indirectement de mesurer la population inactive.
Cette population inactive produit deux dynamiques : "elle va être soit le réceptacle de tous ceux qui sont découragés par la recherche d’un travail, ou elle viendra alimenter la demande sur le marché du travail. Et si cette demande n’est pas satisfaite, elle va augmenter le taux de chômage", précise le Haut-commissaire au Plan.
Ce sont ces deux variables qui constituent les dynamiques structurelles de fonctionnement du marché du travail. Au Maroc, ces deux taux connaissent, nous dit M. Lahlimi, une baisse continue depuis au moins deux décennies, avec en même temps une augmentation de la population en situation d’inactivité.
"Pour illustrer ce phénomène structurel, il faut savoir qu’entre 2000 et 2019, l’économie nationale a créé en moyenne annuelle 110.000 postes d’emplois au moment où la population en âge de travailler augmente chaque année en moyenne de 375.000 personnes, soit un déficit moyen de 265.000 postes d’emploi par an", précise M. Lahlimi.
"Ce qui s’est passé cette année, c’est que cette situation structurelle a été amplifiée par la conjoncture et l’héritage de la crise du Covid-19. A cause de la pandémie, nous avons perdu plus de 430.000 postes d’emploi en 2020, qui n’ont pas été complètement récupérés, malgré la création de 230.000 emplois en 2021 avec le rebond de l’économie. Un rebond qui a été suivi en 2022 par de nouvelles pertes d’emplois. Nous nous retrouvons donc dans une situation avec un phénomène structurel du chômage qui continue de persister, amplifiée par cette période du Covid et ses séquelles".
La sécheresse a causé d'énormes pertes dans l'emploi rural, notamment chez les femmes
Et donnée importante que nous révèle M. Lahlimi : c’est que près de 90% des pertes d’emplois accusées entre mars 2022 et mars 2023 sont des emplois non rémunérés. "Entre les deux premiers trimestres de 2022 et 2023, la population active occupée (celle qui travaille) est passée de 10.697.000 à 10.418.000 personnes, soit une perte nette 280.000 postes d’emplois sur une année. Près de 90% de cette perte sont des emplois non rémunérés. Il n’y a que 13.000 postes rémunérés qui ont été perdus".
"Ces emplois non rémunérés se trouvent dans l’agriculture, et sont en grande majorité occupés par des femmes (97%). Les services aussi ont connu une perte importante en raison de la baisse d’activité du commerce, du transport, de la restauration, ce qui est paradoxal puisque que dans l’hébergement, il y a eu des créations de postes. Pour compenser ces baisses, il y a eu des créations de postes dans les activités financières, les assurances, les services administratifs, la santé, l’enseignement, l’action sociale, l’activité des associations… Tous ces secteurs ont créé de l’emploi, avec le BTP et l’industrie qui ont créé à peu près 36.000 postes", détaille M. Lahlimi..
Résultat: le nombre de personnes au chômage a augmenté en une année de 83.000 individus pour atteindre plus de 1,5 million de chômeurs. Un chômage qui touche en grande partie les femmes, précise M. Lahlimi.
"Cette baisse de l’activité a touché principalement les femmes et les emplois non rémunérés. Il se trouve qu’une partie d’entre elles est sortie complètement du marché du travail, avec une sécheresse de deux années successives, sans compter l’effet structurel de la non absorption par le marché de la population qui arrive chaque année en âge de travail. Donc le taux d’activité a baissé, puisque nous n’avons pas créé un changement fondamental dans notre économie, pour avoir des activités qui créent des emplois décents et stables comme dans l’industrie, qui commence certes à créer des emplois mais à un niveau qui demeure faible", explique le Haut-commissaire au Plan.
Jusque-là donc, on comprend que la hausse du taux de chômage entre mars 2022 et mars 2023 est due à des données structurelles, exacerbées par le passif de la pandémie du Covid et les deux années de sécheresse. Mais il n’y pas que cela, selon Ahmed Lahlimi, qui évoque un autre effet, cette fois politique : celui de l’appel d’air créé par les annonces et les promesses gouvernementales concernant l’emploi.
Quand les promesses gouvernementales gonflent le chômage…
Sans nommer les programmes Awrach et Forsa, ou encore les promesses électorales de création de 250.000 postes, Ahmed Lahlimi nous déclare qu’il a toujours exprimé des réserves sur ce qu’il appelle "le traitement social de la question de l’emploi". Car cela crée un effet boomerang sur le marché du travail, gonflant par effet mécanique le taux de chômage. "A chaque fois qu’on essaie de traiter le problème social par des annonces relatives à des perspectives d’emplois, plus au moins aidés, soutenus ou subventionnés, sans base productive, il y a un appel d’air qui se fait. Et tous ceux, qui d’ordinaire ne se portent pas sur le marché du travail, vont se mettre sur le marché, parce qu’ils sont attirés par ces annonces qui leur donnent de l’espoir de pouvoir bénéficier d’un emploi. Les personnes qui étaient découragées de l’emploi reviennent sur le marché, les personnes qui sont encore dans l’enseignement (lycée ou université) se mettent aussi sur le marché sans attendre de finir leur scolarité ou leurs études, surtout quand ils constatent que les jeunes diplômés sont encore au chômage. Ce qui vient augmenter le nombre de chômeurs faute d’une offre structurelle solide qui puisse absorber cette nouvelle masse de demandeurs d’emplois. J’ai n'ai d’ailleurs pas été étonné de constater qu’au même moment où je vous parle, on parle d’une très forte déperdition dans l’enseignement…", explique M. Lahlimi.
C’est pour cela, nous dit-il, qu’il s’attendait à une hausse du chômage en cette période.
"Je disais à mes collaborateurs bien avant 2022 que le chômage allait augmenter. Je me base sur cette analyse mais aussi sur l’histoire. A la fin des années 1990 et au début des années 2000, on a connu le même phénomène, avec un chômage qui est monté à 13%, produisant une salve de critiques et de doutes sur les politiques du gouvernement El Youssoufi", nous raconte le Haut-commissaire au Plan.
Le taux de chômage aurait pu être de 15% à fin mars !
Voici donc d’où viennent les 83.000 nouveaux chômeurs qui ont gonflé le stock du chômage dans le pays, faisant porter la population au chômage à 1.549.000 personnes. Un chiffre qui aurait pu être encore plus important, tient à signaler M. Lahlimi. "Le nombre de chômeurs a augmenté de 83.000 personnes, mais il faut se rendre compte qu’il aurait pu être plus fort encore si les personnes qui sont passées de l’activité à l’inactivité étaient restées demandeuses d’emploi. Ces personnes représentent 197.000 personnes. Si ces personnes s’étaient portées sur le marché du travail, nous aurions eu une augmentation du taux de chômage à 15% au lieu de 12,9%", souligne M. Lahlimi.
Autre effet qui a joué, selon lui, le ramadan, mois qui a coïncidé cette année avec le mois de mars et est donc inclus dans les statistiques du premier trimestre 2023.
"L’effet ramadan a apporté sa contribution à la montée du taux de chômage à fin mars. Car une partie des artisans n’ont pas travaillé durant ce mois. Les pertes d’emploi dans un secteur comme la restauration sont aussi caractéristiques de cette période du ramadan. Ces effets vont probablement disparaître en partie le trimestre prochain, mais le chômage restera élevé tant que les facteurs structurels qui le soutiennent restent là".
Et l’inflation dans tout cela ? Pour le haut-commissaire au Plan, celle-ci a dû jouer sur les emplois dans le commerce informel, notamment chez la population des petits commerçants qui face à la montée des prix, et faute d’un capital consistant, a dû abandonner son activité, car ne pouvant pas suivre le rythme.
Mais la chose particulière que le haut-commissaire au Plan note cette année et qui a fait que le chômage a bondi à ces niveaux-là, c’est la double crise qui frappe aussi bien l’agriculture que les secteurs du commerce et, dans des proportions moindres, le BTP.
"D’habitude, dans le cadre des structures du marché du travail, quand l’agriculture marche bien, vous avez une population active occupée qui s'accroît, dont une grande partie de femmes non rémunérées, avec une petite augmentation que nous avons constatée ces dernières années d’emplois rémunérés qui est probablement due à la modernisation d’une partie de l’agriculture. Quand l’économie produit aussi des postes dans le domaine du BTP et du commerce, vous avez à ce moment là une baisse du chômage. Parce que, aussi bien dans les villes que dans la campagne, le chômage baisse. Deuxième cas de figure : quand vous avez une crise dans l’agriculture et que le BTP marche, nous assistons à une arrivée de la main-d'œuvre rurale vers les villes. Cette population va aller vers le BTP, ou à défaut dans les petits métiers, ce qui accroît l’informel dans les villes et l’activité des petits commerces… Le problème aujourd’hui, c’est que les deux ne marchent pas. Ce qui fait que même les petits métiers, dans le BTP ou le commerce, sur lesquels se rabattaient les personnes ayant perdu leur emploi dans le rural ne produisent pas de l’emploi. Ce qui explique cette perte d’emploi dans le commerce ou l’artisanat que nous avons enregistrée cette année", détaille M. Lahlimi.
Voici donc l’analyse exhaustive du Haut-commissaire au Plan, qu’il résume en quelques mots par ces termes-là :
"Si on veut résumer, il y a d’abord la situation structurelle du marché de l’emploi, amplifiée par une conjoncture venant de la Covid, de plusieurs années successives de sécheresse et d’une politique de l’emploi qui a favorisé l’entrée sur le marché de personnes qui se sont mises en recherche d’emploi. Ce chômage a été freiné néanmoins, non pas par la création d’emploi, mais par le passage à l’inactivité d’une partie de la population qui était active, car elle est découragée, particulièrement chez les jeunes et dans le domaine des emplois non rémunérés en grande partie féminisée. C’est cela la situation actuelle du marché du travail", conclut Ahmed Lahlimi.
Lien : Chiffres record du chômage : Le décryptage d'Ahmed Lahlimi
PAR M.M.