Les Afriques : Tout d’abord, comment définir le rôle et les prérogatives du Haut-Commissariat au plan dans l’économie marocaine d’aujourd’hui ?
Ahmed Lahlimi Alami : Le Haut-Commissariat au plan est une structure ministérielle, érigée en septembre 2003, en une administration de mission, jouissant d’une indépendance institutionnelle et intellectuelle dans l’établissement de ses programmes et la conduite de ses travaux d’enquêtes et d’études. Son rôle est celui dévolu, aujourd’hui, à tous les organismes de statistique et de planification dans le monde moderne. Il s’agit de produire, sur la base d’enquêtes, d’études et d’analyses, une information aux normes internationales sur les réalités nationales. De faire des prévisions et des projections socio économiques et démographiques et d’établir les comptes de la nation. De développer les outils d’évaluation de la gestion des politiques publiques. Enfin, comme c’est la tendance partout dans le monde, de promouvoir une démarche prospective et d’élaborer les scénarios des futurs possibles, afin d’inscrire dans celui qui aurait été considéré comme souhaitable l’itinéraire stratégique du développement économique et social du pays. La vocation du HCP est, ainsi, de contribuer, aux côtés d’autres sources d’informations et d’études, à éclairer les agents économiques officiels et privés sur les contextes où ils sont ou seront amenés à opérer et prendre des décisions.
LA : Durant les décennies 80 et 90, le retour à l’orthodoxie budgétaire (maîtrise des dépenses publiques, du déficit budgétaire) était l’un des objectifs du Maroc. Les succès obtenus à ce niveau ont-ils eu une incidence sociale ?
ALA : Au cours des années 70, une politique ambitieuse d’investissement dans les infrastructures, sans réformes profondes à caractère économique et sociétal et sans rapport avec les capacités de l’épargne nationale et internationale mobilisable, a conduit à une détérioration des comptes intérieurs et extérieurs du pays. En 1982, en proportion du PIB, le déficit courant de la balance de paiements était de l’ordre de 13%, celui du budget de l’Etat de 14%. D’où, le recours au FMI et la mise en œuvre du programme d’ajustement structurel. L’objectif, dès lors prioritaire, du rétablissement des fondamentaux macroéconomiques a, certes, été atteint, mais au détriment des équilibres sociaux. Le taux de chômage s’est accru pour atteindre 16% en 1994. Les niveaux de vie des ménages se sont détériorés en termes d’accès au savoir, à l’habitat décent et aux services sociaux de base. Les disparités sociales se sont accentuées, en particulier dans le milieu rural où l’écart entre les 10% les plus pauvres et les 10% les plus riches est passé de 6,8 en 1991 à 7,3 en 1999. Ce n’est qu’à partir des années 2000, avec une plus grande cohérence entre les approches d’une croissance soutenue et celle d’un développement humain durable, que s’est opérée une tendance à l’amélioration des indicateurs sociaux. Entre 1999 et 2008, le taux de chômage est, ainsi, passé de 13,8% à 9,6%, le taux de pauvreté de 16% à 9%. Le pouvoir d’achat de la population s’est également amélioré de 2,3% par an.
« Les résultats de l’enquête qualitative sur l’Initiative nationale pour le développement humain, réalisée par le HCP en 2009, ont montré que 46% des chefs de ménage, bénéficiaires des composantes de ce projet, considèrent que leurs conditions de vie se sont améliorées. »
LA : Nombre d’économistes sont d’avis que la croissance n’a pas résorbé le problème du chômage. Quel type de chômage rencontre-t-on au Maroc ?
ALA : Les données statistiques disponibles montrent, au contraire, qu’il y a une forte corrélation entre croissance et emploi. Entre 1998 et 2008, le taux de croissance de l’économie a enregistré une moyenne de 4,3% contre 3,3% durant les années 1990-1998, celui des activités non agricoles de 4,8% contre 3%. Parallèlement, le taux d’activité est passé de 47% (de la population âgée de 15 ans et plus) en 2000 à 44,7% en 2008 dans le milieu urbain, et de 61,4% à 59% dans le milieu rural. Le marché de l’emploi reste, cependant, marqué par des dysfonctionnements à caractère sectoriel et social. Une part importante de la population active occupée, de l’ordre de 45%, relève directement du secteur agricole où sévit le sous-emploi. L’inadaptation du système de formation aux besoins du marché condamne les jeunes et les diplômés à des niveaux élevés de chômage, bien que ces niveaux aient, eux aussi, connu la même tendance. Entre 1999 et 2008, le taux de chômage est passé respectivement de 20,7% à 14,4% et de 27,1% à 19%.
LA : Les infrastructures et la politique des pôles de compétitivité pourront-ils relancer durablement le marché de l’emploi ?
ALA : Ce sont là, au cours des dix dernières années, les secteurs qui ont le plus bénéficié de l’investissement, dont le taux est passé de 23% à 32% du PIB. Ils constituent les fondements d’une croissance durable de l’économie et de l’emploi, une source de la compétitivité des territoires et une base pour une gestion responsable des ressources naturelles. Ils contribuent, de ce fait, à l’amélioration du taux de l’emploi effectif d’aujourd’hui et annoncent les promesses de valeurs ajoutées et d’emplois de demain.
LA : Les politiques de subvention des denrées de base contribuent-elles à réduire la pauvreté ? Quelles sont les pistes de réforme envisagées ?
ALA : Les subventions affectées, de manière forfaitaire et générale, au soutien des prix des produits de base ont, certes, l’inconvénient d’induire des dysfonctionnements dans une économie de marché, et de l’iniquité dans une collectivité nationale inégalitaire en termes de distribution sociale des revenus et des dépenses. Il est certain, cependant, qu’en amortissant l’impact de l’inflation sur le coût de la vie, elles contribuent à limiter la pauvreté. Nos approches de cette problématique ont montré que, toutes choses égales par ailleurs, la suppression de ces subventions accroîtrait de 2 à 4 points le taux de pauvreté et creuserait les inégalités sociales. Les mêmes études permettent de croire que les meilleures performances d’une politique de lutte contre la pauvreté dépendent du niveau et de la nature du ciblage géographique et social des ressources budgétaires. Plus ces ressources ciblent les localités les plus pauvres (ciblage dit optimal) et, à l’intérieur de celles-ci, les ménages pauvres (ciblage dit parfait), plus grande est la performance des politiques de lutte contre la pauvreté sous ses différentes formes.
LA : L’Initiative pour le développement humain (INDH) constitue l’un des grands chantiers de SM le roi Mohammed VI. L’approche a-t-elle des incidences palpables aujourd’hui ?
ALA : Il est certain que l’impact de l’INDH, en raison de la nature du projet, a dû être d’une portée significative, malgré le caractère récent de sa mise en œuvre. Certes, il n’est pas possible, aujourd’hui, d’en faire une évaluation complète, mais nous disposons de quelques indications qui montrent que la pauvreté a baissé plus rapidement dans les communes rurales ciblées par cette initiative. C’est ainsi que l’enquête sur la consommation des ménages de 2007 a permis de relever qu’entre 2004 et 2007, la pauvreté a baissé, dans ces communes, de 36% à 21%, soit une diminution de 41%, contre 28% de baisse des mêmes taux dans le reste des communes rurales (de 16,9% à 12,2%).
Par ailleurs, les résultats de l’enquête qualitative sur l’Initiative nationale pour le développement humain, réalisée par le HCP en 2009, ont montré que 46% des chefs de ménage, bénéficiaires des composantes de ce projet, considèrent que leurs conditions de vie se sont améliorées (42,1% dans les quartiers urbains et 50,8% dans les communes rurales). Le reste des ménages, soit 54%, estiment en revanche que leur situation économique n’a pas connu de changements notables. La mise à jour de la carte de la pauvreté 2007, en cours de réalisation dans le cadre des travaux que nous menons sur la dynamique de la pauvreté, permettra sûrement de mieux cerner l’impact de l’INDH sur le niveau de la pauvreté et de l’inégalité à l’échelle des communes aussi bien rurales qu’urbaines.