Le Matin : Vous avez organisé le 1er juillet 2008, au siège du Conseil d'analyse économique, à Paris, une conférence-débat sur la dynamique du Maroc, un pays aspirant à l'émergence économique et au développement humain. Le choix du moment, dites-vous, n'est pas anodin ?
AHMED LAHLIMI : Le Maroc est engagé aujourd'hui dans une double mutation extérieure et intérieure. Il en mesure les implications en termes de réformes économiques, politiques et institutionnelles et la vocation à evaluer, pour longtemps, le projet de société auquel aspirent les Marocains. Au plan extérieur, il est à la veille de son entrée dans la zone de libre-échange avec l'Europe, en plein leadership dans la promotion d'un modèle de partenariat euroméditerranéen rénové. Il active, résolument, sa traditionnelle solidarité économique, sociale et politique avec le Maghreb, le monde arabe et l'Afrique dont il partage avec les peuples de multiples appartenances, géographique, historique et humaine. Au plan intérieur, le Maroc connaît, globalement, une dynamique de croissance et de développement humain qu'il semble maîtriser progressivement malgré les contraintes d'une triple transition, démographique, économique et démocratique avec ses processus complexes de mutations économiques, sociales, politiques et institutionnelles.
Tout cela nécessite des réformes, des ruptures, d'autres parleront de transition. Dans quel sens et avec quels atouts, et quelle dynamique le Maroc évolue-t-il ?
Pour exploiter les opportunités d'une mondialisation aux exigences de laquelle il a été l'un des premiers pays en développement à se préparer, il en affronte les défis en assumant les contraintes du passage d'une économie longtemps protégée à une économie libérale résolument ouverte sur la compétition internationale et les valeurs ajoutées d'un régionalisme ouvert. Il mobilise, dans ce cadre, la dynamique des partenariats entre secteurs public et privé pour une insertion active dans les segments les plus profitables des chaînes de valeur globales. Il développe, à cet effet, de multiples pôles d'excellence dans les domaines des infrastructures et des activités à forte valeur ajoutée, notamment l'ingénierie financière, les nouvelles technologies, les industries et l'agriculture. Le modus operandi privilégie la méthode des contrats programmes sectoriels avec les opérateurs économiques et, avec les partenaires sociaux, celle du dialogue régulier, sans se départir d'une veille permanente sur les équilibres fondamentaux du cadre macro-économique. L'objectif, nous le connaissons, le Maroc ambitionne de faire du développement humain, à la fois finalité et facteur de la croissance économique ; il consacre près de 55% du budget national aux programmes sociaux. En renfort à ces derniers, S.M. le Roi a lancé, sous Sa Haute Autorité, un grand projet, sous la dénomination de l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH), qui constitue une expression forte de cette ambition et revêt la dimension d'un véritable chantier du règne.
Ce projet, doté d'un cadre spécifique de programmation, de suivi et d'évaluation et d'un budget pluriannuel conséquent, s'appuie, dans sa mise en œuvre, sur une approche participative et contractuelle impliquant les administrations locales, les élus et la société civile. Mis en œuvre depuis 2006, ce projet s'inscrit dans la démarche des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et vise, en particulier, l'amélioration des conditions de vie de la population par le développement des infrastructures sociales et l'incitation, au niveau des unités géographiques de base, à la création de petits projets générateurs de revenus. Il a vocation à impulser des synergies cumulatives avec les programmes de lutte contre l'habitat insalubre, la promotion de l'habitat économique et les retombées de réformes sociétales, audacieuses pour un pays musulman, en particulier celles du Code de la famille et de la gestion rigoureuse du champ religieux. Le Maroc a choisi d'inscrire son développement socio-économique dans le cadre d'une démocratie qu'il souhaite conforme au modèle des sociétés modernistes auquel aspirent ses élites.
Cette option a un prix à payer, car de par ses exigences, elle exacerbe, l'expression conflictuelle des intérêts contradictoires et amplifie les revendications catégorielles qu'il n'est pas toujours facile de concilier avec l'intérêt de la collectivité nationale. Sa triple transition, démographique, économique et démocratique met d'autre part notre pays, au cœur de mutations de grande amplitude accompagnées par une volonté politique forte.
Vous dites que les indicateurs se sont améliorés. Dans quel sens et avec quel développement humain ?
D'une moyenne annuelle de 4,2% depuis 1998, le taux de croissance du PIB est passé à 4,6% depuis 2004, marquant une moindre dépendance des fluctuations de la production agricole, grâce à une croissance soutenue du PIB non agricole de 6,6% en 2007. La structure du PIB connaît, de son côté, une évolution significative. Le secteur des services est passé de 46,2% du PIB en 1998 à 52,3% en 2007, le BTP de 3,8% à 6,1% et les télécommunications, réalisant une croissance moyenne annuelle de 15%, de 1,6% à 3,1%. Au cours de la même période, le taux d'investissement est passé de 23,4% à 31,3%. Dans ce contexte, le chômage connaît une tendance à la baisse passant de 13,8% en 1999 à 9,8% en 2007 et à 9,6 % au premier trimestre 2008. Avec une inflation moyenne de 1,8% au cours de la période 1998-2006 et une amélioration du revenu disponible de 4,1%, en monnaie courante, le pouvoir d'achat a connu une évolution de 2,3% en moyenne par an. Vous avez évoqué le développement humain, celui-ci constitue, aujourd'hui, une priorité nationale et connaît, notamment des progrès remarquables dont l'IDH tel que mesuré par le PNUD, de par son caractère composite forcément partiel et statique, ne reflète que partiellement la réalité.
Cet indice qui classe le Maroc, en 2005, au 126e rang sur 177 pays, occulte, cependant, ce que j'appellerai la dynamique progressive. A titre d'illustration, l'IDH marocain a connu un taux de croissance de 1,6% entre 2000 et 2006 contre 1% entre 1995 et 2000 situant, ainsi, le Maroc au 28e rang, sur 177 pays, en termes de performance dans ce domaine. Par ailleurs, le niveau d'accès de la population aux services sociaux de base, qui mesure l'un des facteurs considérés comme prioritaires par les populations pour l'amélioration de leurs conditions de vie, n'est pas pris en compte dans l'IDH alors qu'il connaît au Maroc un rythme de progression particulièrement rapide. Le taux d'électrification, par exemple, est passé de 50,2% en 1994 à 83,7% en 2006 au niveau national et de 9,7% à 64,8% en milieu rural. Le nombre de ménages accédant à l'eau potable est passé de 44,1% à 71,9% durant la même période. De son côté, l'habitat insalubre a reculé de 20,7% en 1985 à 6,5%en 2007.Les avancées, ainsi réalisées, constituent, de toute évidence, une rupture significative dans l'approche du développement humain dont l'impulsion volontariste et le cadre opérationnel trouvent leur expression forte dans l'Initiative nationale pour le développement humain. Mis en œuvre, depuis moins de trois ans, l'évaluation des effets spécifiques de ce grand projet est encore prématurée. Cependant, à considérer l'évolution du taux de pauvreté qui constitue, en définitive, l'indicateur synthétique le plus pertinent en matière de développement humain, la priorité accordée à ce domaine par le Maroc commence à donner ses fruits. Ce taux a, en effet, baissé de 55,7% en 1960 à 21% en 1985, pour passer à 16,2% en 1998, à 14,2% en 2004 et à 9% en 2007.
Si la direction est résolument prise d'œuvrer pour le développement humain, comme en témoignent l'actualité avec la région de l'Oriental et les très nombreux projets lancés ou évalués par le Souverain, il reste que les bémols à apporter à cette dynamique sont nombreux ?
Certes, comme dans tout projet d'avenir, des aléas toujours possibles peuvent perturber les conjonctures les plus favorables, surtout dans un monde dominé par les conflits géostratégiques, l'envolée des prix de l'énergie et des produits alimentaires et la multiplication des foyers de tensions, voire de guerres, plus ou moins localisés. Le risque zéro n'existe, bien entendu, dans nul domaine. Cependant, le Maroc a la volonté de tirer des incertitudes régionales et internationales une motivation supplémentaire pour persévérer dans la consolidation des acquis et le renforcement de la dynamique des réformes en chantier, pour qu'au lieu d'en subir les effets démobilisateurs, il en anticipe les évolutions pour en valoriser toutes les opportunités potentielles.
Dans son agenda, la nouvelle génération de réformes à l'ordre du jour, notamment dans les domaines de l'agriculture, de l'enseignement, du système judiciaire et de la régionalisation en est, aujourd'hui, l'illustration vivante.
AHMED LAHLIMI : Le Maroc est engagé aujourd'hui dans une double mutation extérieure et intérieure. Il en mesure les implications en termes de réformes économiques, politiques et institutionnelles et la vocation à evaluer, pour longtemps, le projet de société auquel aspirent les Marocains. Au plan extérieur, il est à la veille de son entrée dans la zone de libre-échange avec l'Europe, en plein leadership dans la promotion d'un modèle de partenariat euroméditerranéen rénové. Il active, résolument, sa traditionnelle solidarité économique, sociale et politique avec le Maghreb, le monde arabe et l'Afrique dont il partage avec les peuples de multiples appartenances, géographique, historique et humaine. Au plan intérieur, le Maroc connaît, globalement, une dynamique de croissance et de développement humain qu'il semble maîtriser progressivement malgré les contraintes d'une triple transition, démographique, économique et démocratique avec ses processus complexes de mutations économiques, sociales, politiques et institutionnelles.
Tout cela nécessite des réformes, des ruptures, d'autres parleront de transition. Dans quel sens et avec quels atouts, et quelle dynamique le Maroc évolue-t-il ?
Pour exploiter les opportunités d'une mondialisation aux exigences de laquelle il a été l'un des premiers pays en développement à se préparer, il en affronte les défis en assumant les contraintes du passage d'une économie longtemps protégée à une économie libérale résolument ouverte sur la compétition internationale et les valeurs ajoutées d'un régionalisme ouvert. Il mobilise, dans ce cadre, la dynamique des partenariats entre secteurs public et privé pour une insertion active dans les segments les plus profitables des chaînes de valeur globales. Il développe, à cet effet, de multiples pôles d'excellence dans les domaines des infrastructures et des activités à forte valeur ajoutée, notamment l'ingénierie financière, les nouvelles technologies, les industries et l'agriculture. Le modus operandi privilégie la méthode des contrats programmes sectoriels avec les opérateurs économiques et, avec les partenaires sociaux, celle du dialogue régulier, sans se départir d'une veille permanente sur les équilibres fondamentaux du cadre macro-économique. L'objectif, nous le connaissons, le Maroc ambitionne de faire du développement humain, à la fois finalité et facteur de la croissance économique ; il consacre près de 55% du budget national aux programmes sociaux. En renfort à ces derniers, S.M. le Roi a lancé, sous Sa Haute Autorité, un grand projet, sous la dénomination de l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH), qui constitue une expression forte de cette ambition et revêt la dimension d'un véritable chantier du règne.
Ce projet, doté d'un cadre spécifique de programmation, de suivi et d'évaluation et d'un budget pluriannuel conséquent, s'appuie, dans sa mise en œuvre, sur une approche participative et contractuelle impliquant les administrations locales, les élus et la société civile. Mis en œuvre depuis 2006, ce projet s'inscrit dans la démarche des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et vise, en particulier, l'amélioration des conditions de vie de la population par le développement des infrastructures sociales et l'incitation, au niveau des unités géographiques de base, à la création de petits projets générateurs de revenus. Il a vocation à impulser des synergies cumulatives avec les programmes de lutte contre l'habitat insalubre, la promotion de l'habitat économique et les retombées de réformes sociétales, audacieuses pour un pays musulman, en particulier celles du Code de la famille et de la gestion rigoureuse du champ religieux. Le Maroc a choisi d'inscrire son développement socio-économique dans le cadre d'une démocratie qu'il souhaite conforme au modèle des sociétés modernistes auquel aspirent ses élites.
Cette option a un prix à payer, car de par ses exigences, elle exacerbe, l'expression conflictuelle des intérêts contradictoires et amplifie les revendications catégorielles qu'il n'est pas toujours facile de concilier avec l'intérêt de la collectivité nationale. Sa triple transition, démographique, économique et démocratique met d'autre part notre pays, au cœur de mutations de grande amplitude accompagnées par une volonté politique forte.
Vous dites que les indicateurs se sont améliorés. Dans quel sens et avec quel développement humain ?
D'une moyenne annuelle de 4,2% depuis 1998, le taux de croissance du PIB est passé à 4,6% depuis 2004, marquant une moindre dépendance des fluctuations de la production agricole, grâce à une croissance soutenue du PIB non agricole de 6,6% en 2007. La structure du PIB connaît, de son côté, une évolution significative. Le secteur des services est passé de 46,2% du PIB en 1998 à 52,3% en 2007, le BTP de 3,8% à 6,1% et les télécommunications, réalisant une croissance moyenne annuelle de 15%, de 1,6% à 3,1%. Au cours de la même période, le taux d'investissement est passé de 23,4% à 31,3%. Dans ce contexte, le chômage connaît une tendance à la baisse passant de 13,8% en 1999 à 9,8% en 2007 et à 9,6 % au premier trimestre 2008. Avec une inflation moyenne de 1,8% au cours de la période 1998-2006 et une amélioration du revenu disponible de 4,1%, en monnaie courante, le pouvoir d'achat a connu une évolution de 2,3% en moyenne par an. Vous avez évoqué le développement humain, celui-ci constitue, aujourd'hui, une priorité nationale et connaît, notamment des progrès remarquables dont l'IDH tel que mesuré par le PNUD, de par son caractère composite forcément partiel et statique, ne reflète que partiellement la réalité.
Cet indice qui classe le Maroc, en 2005, au 126e rang sur 177 pays, occulte, cependant, ce que j'appellerai la dynamique progressive. A titre d'illustration, l'IDH marocain a connu un taux de croissance de 1,6% entre 2000 et 2006 contre 1% entre 1995 et 2000 situant, ainsi, le Maroc au 28e rang, sur 177 pays, en termes de performance dans ce domaine. Par ailleurs, le niveau d'accès de la population aux services sociaux de base, qui mesure l'un des facteurs considérés comme prioritaires par les populations pour l'amélioration de leurs conditions de vie, n'est pas pris en compte dans l'IDH alors qu'il connaît au Maroc un rythme de progression particulièrement rapide. Le taux d'électrification, par exemple, est passé de 50,2% en 1994 à 83,7% en 2006 au niveau national et de 9,7% à 64,8% en milieu rural. Le nombre de ménages accédant à l'eau potable est passé de 44,1% à 71,9% durant la même période. De son côté, l'habitat insalubre a reculé de 20,7% en 1985 à 6,5%en 2007.Les avancées, ainsi réalisées, constituent, de toute évidence, une rupture significative dans l'approche du développement humain dont l'impulsion volontariste et le cadre opérationnel trouvent leur expression forte dans l'Initiative nationale pour le développement humain. Mis en œuvre, depuis moins de trois ans, l'évaluation des effets spécifiques de ce grand projet est encore prématurée. Cependant, à considérer l'évolution du taux de pauvreté qui constitue, en définitive, l'indicateur synthétique le plus pertinent en matière de développement humain, la priorité accordée à ce domaine par le Maroc commence à donner ses fruits. Ce taux a, en effet, baissé de 55,7% en 1960 à 21% en 1985, pour passer à 16,2% en 1998, à 14,2% en 2004 et à 9% en 2007.
Si la direction est résolument prise d'œuvrer pour le développement humain, comme en témoignent l'actualité avec la région de l'Oriental et les très nombreux projets lancés ou évalués par le Souverain, il reste que les bémols à apporter à cette dynamique sont nombreux ?
Certes, comme dans tout projet d'avenir, des aléas toujours possibles peuvent perturber les conjonctures les plus favorables, surtout dans un monde dominé par les conflits géostratégiques, l'envolée des prix de l'énergie et des produits alimentaires et la multiplication des foyers de tensions, voire de guerres, plus ou moins localisés. Le risque zéro n'existe, bien entendu, dans nul domaine. Cependant, le Maroc a la volonté de tirer des incertitudes régionales et internationales une motivation supplémentaire pour persévérer dans la consolidation des acquis et le renforcement de la dynamique des réformes en chantier, pour qu'au lieu d'en subir les effets démobilisateurs, il en anticipe les évolutions pour en valoriser toutes les opportunités potentielles.
Dans son agenda, la nouvelle génération de réformes à l'ordre du jour, notamment dans les domaines de l'agriculture, de l'enseignement, du système judiciaire et de la régionalisation en est, aujourd'hui, l'illustration vivante.