Allocution de Monsieur le Haut-Commissaire au Plan Ahmed Lahlimi Alami lors de la rencontre organisée à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, sous le thème : « L’égalité de genre, impératif du développement durable »
مداخلة السيد أحمد الحليمي علمي خلال اللقاء المنعقد بمناسبة اليوم العالمي للمرأة تحت شعار : المساواة بين الجنسين، شرط التنمية للمستدامة
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi d’abord, au nom du Haut-Commissariat au Plan et en votre nom, d’exprimer notre déférente gratitude à Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu l’Assiste pour la faveur dont il a bien voulu gratifier les travaux de cette journée de réflexion que nous organisons avec nos partenaires l’ONU-femmes et l’Union Européenne à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, en nous accordant son Haut Patronage, marquant par-là la bienveillante sollicitude royale à l’égard de la femme marocaine et son constant engagement personnel qu’il n’a cessé, depuis son avènement, de s’investir dans la lutte pour le progrès de son statut social et à son insertion compétitive dans le processus de modernisation et de développement de notre pays.
Je me dois également de rendre hommage à la qualité de la contribution apportée à nos travaux et à leur organisation par l’ONU-femmes, notre traditionnel partenaire dans les études de cette complexe problématique du genre, et par l’Union Européenne avec laquelle nous espérons consolider les rapports de coopération que nous avons inauguré avec le secteur de la statistique et que nous espérons élargir aux études socio-économiques et à l’évaluation des politiques publiques, pour apporter en commun un meilleur éclairage des perspectives d’avenir des relations de notre pays avec son environnement régional.
Mesdames, Messieurs,
Si nous avons choisi de placer cette Journée Internationale de la Femme sous le thème « L’égalité de genre, impératif du développement durable », ce n’est pas par goût de céder à la facilité de travestir en évidence la complexité d’une réalité. Notre objectif est d’abord d’inscrire dans notre pays la problématique de l’égalité de genre dans le sillage de ses engagements internationaux et régionaux et du pacte national consacré par son nouveau modèle de développement.
La problématique de l’égalité de genre est en fait au cœur de celle plus complexe de la croissance économique et du progrès social dans un pays en transition économique, démographique, sociale et sociétale.
Dans ce cadre, permettez-moi, Mesdames, Messieurs, de partager avec vous quelques constatations et réflexions émanant des travaux réalisés par le HCP.
Nous avons eu souvent l’occasion de souligner le poids des structures économiques dans la précarité d’une inclusion compétitive des ressources humaines et en particulier leurs composantes féminines dans le processus de transformation économique et sociale de notre pays. Cette nécessaire transformation est en réalité pénalisée par une double contrainte qui pèse sur notre économie. La baisse tendancielle de notre croissance potentielle et la cyclicité de son taux en fonction de la pluviométrie. La transposition de cette situation sur les activités économiques et sociales nous renvoie l’image d’un paysage humain morcelé en une économie domestique piégeant 58% de femmes, un marché de l’emploi avec son double versant, une offre peu diversifiée et une demande de main d’œuvre faiblement qualifiée et peu productive.
En outre, les rapports entre l’offre économique et la demande sociale reste impactés par les variations des conditions climatiques. Pendant les bonnes campagnes agricoles, le potentiel de la croissance s’améliorait, frôlant les 4% avec des externalités positives sur les revenus et sur la cohésion sociale, mais tombait vers des rythmes modérés aux environs de 2%, lorsque les conditions climatiques sont plus sèches. En milieu rural, la succession des cycles de sécheresse sévère poussaient les femmes actives occupées à l’inactivité, alors que les hommes s’orientaient vers des emplois vulnérables et précaires dans les villes pour surmonter les effets de la sécheresse. Le retour des conditions climatiques pluvieuses incitait de nouveau les femmes à renouer avec des emplois.
Dans ce contexte, la demande de main d’œuvre reste peu diversifiée avec une prédominance de l’agriculture (31% d’actifs occupés) et une faible présence dans l’industrie (12%) et l’offre avec une population active faiblement qualifiée et peu productive (53% d’actifs occupés ne sont pas diplômés, 31% ont un diplôme moyen, 16% un diplôme supérieur). La demande sociale est aussi défavorable pour les hommes que pour les femmes, mettant en chômage 11% des premiers et 17% des seconds. Si, quel que soit le sexe, les taux de chômage augmentent avec le niveau d'instruction, il faut admettre que la situation des femmes est beaucoup plus problématique, notamment pour les diplômées du supérieur qui rencontrent de grandes difficultés à accéder à l’emploi (33% contre 22% parmi les hommes).
En plus de la sous-valorisation du potentiel féminin dans le marché du travail, la qualité de l’emploi de la femme reste faible. Quand elles accèdent à l’emploi, celui-ci est dominé par l’emploi non rémunéré et une inégalité forte dans sa rémunération. 64% des femmes actives occupées ont un emploi rémunéré contre 91% pour les hommes. En outre, la quasi-totalité des branches présente un écart salarial significatif de l’ordre de 30% en défaveur des femmes. Cet écart est très fort dans l’Industrie où l’indice de parité affiche 2,45. Elles restent en général occupées dans des secteurs à faible productivité. Telle que révélée par le compte satellite de l'emploi, la productivité des femmes réalisée aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie est inférieure à la productivité moyenne de ces branches de 75% et 45% respectivement.
La femme est en fait piégée par le poids historique des rapports sociaux. Elle y fait face avec beaucoup plus d’efforts que ne font les hommes. Mais elle a la même situation, qu’offre le marché de travail aussi bien aux hommes qu’aux femmes, qui reste peu créateur d’opportunités d’emplois en général et encore moins d’emplois décents en particulier. Dès lors, la tendance baissière du taux d’activité des femmes est l’une des caractéristiques structurelles de la situation de la femme au Maroc. Ce taux qui s’élevait à 30% au début des années 2000, il est aujourd’hui de près de 21%, dénotant d’une faible valorisation du potentiel que constitue, en particulier, les femmes inactives.
En fait, en comparant les deux périodes de 2000-2009 et celle de 2010-2019, il ressort que la contribution de la femme à la croissance économique est passée de 22% durant la première décennie des années 2000 à une contribution négative de 33% durant la deuxième décennie. Une perte due en grande partie à l’augmentation de l’inactivité de la femme qui a enregistré une contribution négative de presque 16% à la croissance économique.
Mesdames, Messieurs,
Dans les conditions actuelles des structures économiques et en prenant en considération leurs caractéristiques individuelles et socioéconomiques, les estimations du potentiel féminin montrent que près de 1,7 million de femmes inactives pourraient devenir des actives occupées en situation de salariat. La mobilisation de ce potentiel permettrait d’élever le taux d’activité des femmes à 34,8% et d’augmenter la valeur ajoutée totale de 13%.
Malgré sa situation dans le marché de travail, la femme a une capacité plus grande de valoriser les capabilités qu’elle a acquise dans le système d’enseignement et de formation. Aujourd’hui, plus de la moitié (57%) des inscrits en instituts et écoles supérieurs sont des femmes, 13% dirigent des entreprises organisées et 19% des institutions sans but lucratif. Par ailleurs, les femmes représentent 40% des cadres supérieurs, membres des professions libérales et cadres moyens. Dans l’administration publique, elles occupent le quart des postes de responsabilité.
Ce leadership des femmes marocaines se déploie progressivement et induit aussi des changements fondamentaux au niveau social, économique et demain surement, politique et institutionnel. Au lieu de subir le chômage, sa combativité investit aujourd’hui un autre champ qu’exprime la féminisation du phénomène de l’émigration. Les femmes représentent près du tiers de la population migrante et près de la moitié de la diaspora marocaine dans les pays d’Europe. Le niveau d’éducation des femmes émigrées est nettement plus élevé que celui des hommes. Près de 44,7% des femmes migrantes ont atteint le niveau d’enseignement supérieur et 20,1% le niveau secondaire contre respectivement 28,4% et 16,2% parmi leurs homologues hommes.
Mesdames, Messieurs,
Compte tenu de la faible transformation des structures économiques et sociales, 8 femmes sur 10 restent en dehors du marché de travail. La plupart d'entre elles sont des femmes au foyer (73,7%) ou des élèves ou étudiantes (15,1%). Les femmes dans cette situation se consacrent essentiellement à la garde des enfants et aux tâches domestiques (54%). Dans ces conditions, les femmes sont responsables de 84% de la création de la valeur ajoutée des activités domestiques, principalement les services de préparation de repas et d’entretien de logement. Aussi sont-elles engagées dans la scolarité de leurs enfants, en leur consacrant 70% des services de soutien à l’enseignement. Au total, les femmes consacrent en moyenne 5h par jour aux travaux domestiques, soit presque 7 fois plus de temps consacré par les hommes.L’entrée de la femme dans la vie active ne l’a pas libéré de ses charges familiales. En exerçant un emploi professionnel, la femme continue à consacrer 4h17mn aux travaux domestiques.
Les femmes, qu’elles soient actives occupées ou femmes au foyer, participent, ainsi, activement au bien-être social du foyer familial. Elles jouent un rôle de volant de stabilisation de la société en contribuant à la reproduction sociale de la force de travail. La présence de plus en plus grande dans l’espace public, l’implication de plus en plus forte dans la société civile, son accès au savoir et de plus en plus à l’avoir et demain au pouvoir, annonce un leadership féminin dont les conséquences seront déterminantes dans les transformations et les valeurs de la société. Ces changements ne se feront pas spontanément. Les politiques publiques peuvent les contrarier, mais ce ne sera pas facile. Elles peuvent et doivent aussi les faciliter, en particulier, par une politique de discrimination positive.
Mesdames, Messieurs,
Dans ce cadre, les travaux statistiques, réalisés depuis le début des années 2000 par le HCP, n’ont cessé de multiplier les indicateurs sensibles au genre, en mettant systématiquement en exergue les écarts entre les hommes et les femmes au sein et en dehors des ménages dans la vie active. A chacun des grands agendas de développement des OMD et des ODD, les enquêtes statistiques n’ont cessé de se diversifier en termes de couverture thématique, d’approches et de modes de présentation et de dissémination. Aujourd’hui dans le site du HCP, plusieurs bases de données portant sur les statistiques générales sensibles au genre, et plus spécifiquement celles portant sur les ODD, sont consultées par plusieurs millions d’hommes et de femmes au Maroc et à travers le monde.
Parallèlement à ces statistiques, les études socio-économiques et les évaluations des politiques publiques dans les domaines économiques et sociaux contribuent à apporter des éclairages spécifiques sur les inégalités d’accès des deux sexes à l’avoir, au savoir et au pouvoir.
Les plateformes déployées dans cette salle permettent d’accéder d’une manière interactive et dynamique à une bonne partie des données statistiques sous formes de dépliants et brochures, de graphiques et infographies qui donnent un éclairage exhaustif sur les inégalités dans différents domaines et ventilés entre les deux sexes.
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de conclure en partageant avec vous un point de vue qui peut confiner à une auto-critique de la part d’un responsable du HCP en charge précisément de la statistique. J’ai quelque chose qui ressemble à une conviction que lorsqu’il s’agit de sociétés en transition où le poids des rapports sociaux traditionnels continuent à piéger les femmesdans les travaux domestiques, les données statistiques sur les inégalités entre les deux sexes à partir d’une désagrégation hommes-femmes des statistiques dans tous les domaines me semble, malgré leur utilité, porteuses d’une certaine ambiguïté, en tout cas dans leur interprétation ou leur perception par certains secteurs de l’opinion publique. Cette ambiguïté procède de cette approche où les données sur les femmes sont constamment fournies par comparaison aux hommes. En cela,elles reproduiraient dans une certaine mesure l’héritage de la dépendance des premières dans leurs rapports aux seconds et consolideraient une vision dévalorisée de leurs statuts. Moins scolarisées, moins qualifiées, exerçant des activités moins productives, moins bien payées, elles seraient destinées, de par leur nature, aux travaux domestiques et vouées à entretenir les hommes subissant eux-mêmes un contexte de chômage et d’emploi précaire.aux travaux domestiques et vouées à entretenir les hommes subissant eux-mêmes un contexte de chômage et d’emploi précaire.aux travaux domestiques et vouées à entretenir les hommes subissant eux-mêmes un contexte de chômage et d’emploi précaire.
Pour dissiper tout malentendu, ce que je veux dire c’est que l’approche genre par la désagrégation homme-femme des statistiques ne répondrait aux dimensions théoriques et fonctionnelles de ce concept que si elle est insérée dans une analyse plus large des situations spécifiques que connaissent les femmes dans leur vécu, leurs aspirations, leur imaginaire et leur intelligence sociale au-delà de la seule sphère économique et par-delà toute comparaison et encore moins compétition avec l’homme. C’est en cela que les implications d’une politique de genre s’inscrivent nécessairement dans un projet de profonde transformation des structures économiques, sociales et institutionnelles.
Aussi est-il hautement souhaitable que les travaux statistiques, les études socio-économiques et les évaluations des politiques publiques réalisées par le HCP puissent trouver un écho de plus en plus large, une plus grande valorisation par les valeurs ajoutées de la multidisciplinarité de la sphère universitaire.
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